dimanche 2 juillet 2017

Merci pour cette conversation, Monsieur Poutine





Nous avons  droit à des entretiens à bâtons rompus entre un homme qui connaît son métier, Oliver Stone, qui s’intéresse plus à la personnalité de son interlocuteur qu’à sa stratégie politique ou ses ressorts psychologiques et Vladimir Poutine qui se présente comme un Russe de Saint-Petersbourg qui a trouvé sa voie grâce au judo.
Voilà un homme maître de lui et de ses sentiments. Sa parole est riche mais jamais débridée, débitée sans hâte, toujours adagio et altruiste, rarement le président emploie le pronom « je » auquel il préfère le « on ». Il ne porte jamais de jugement sur ses homologues, s’abstient de toute attaque personnelle et parle de son pays, son histoire et sa grandeur sans pathos, en toute lucidité.
POUTINE STONE 

Ce don d’analyse objective du réel est ce qui caractérise le mieux Poutine. En bon adepte des arts mariaux il sait que gagner commence par jauger l’adversaire de manière correcte et cohérente, sans se départir d’objectivité. Poutine n’est pas un idéologue, chez lui pas de gros mots vides comme : démocratie, égalité, fraternité etc. Il est pragmatique comme un Anglais de la City.
Il a compris, une fois l’idéologie marxiste en morceaux, qu’il fallait renouer avec la  tradition et la foi pour que son pays retrouve ses racines.
Il sait que son pays est riche et regorge de matières premières qui font saliver des groupes apatrides qui en matière d’impérialisme donnent des consignes très strictes aux politiques qu’ils comblent de leurs cadeaux s’ils sont sages. Par conséquent, le président de toutes les Russie réalise que le danger est réel de voir ces derniers tout faire, y compris la guéguerre, pour mettre le grappin sur le pactole.
Ainsi, sur l’Otan, il s’interroge : pourquoi encore ce traité de défense conçu à l’époque pour contrer les visées soviétiques ? Pourquoi aujourd’hui entourer son pays de missiles balistiques de longue portée ? Pourquoi influer sans vergogne sur les politiques intérieures d’État indépendants comme l’Ukraine, la Géorgie, la Moldavie etc. ? Pourquoi prendre systématiquement la défense d’oligarques mafieux qui ont pillé le pays quand l’Union Soviétique s’est effondrée ?
Et la réponse est simple et limpide : parce que les États-Unis ne veulent pas de concurrent qui lui soit comparable.
Et que l’Europe est vassale des États-Unis.
Sur l’islam, même constat clinique : la Russie qui comptera trente pour cent de musulmans à la fin du siècle, est sereine car les musulmans russes sont tous des Russes de souche.
Et sur la guerre, Poutine, est tout aussi ferme : s’il faut la faire, il la fera, comme il a mis fin aux rêves expansionnistes des Géorgiens ou au rapt de la Crimée par les Ukrainiens.
Il y aurait bien des choses à ajouter, le mieux est de vous conseiller de voir et revoir ces entretiens qui vous présentent un homme d’État d’une stature que seuls ceux qui ont connu, jadis, De Gaulle ou Churchill, peuvent réaliser.
Rien à voir avec nos produits marketing issus de grandes écoles, de cercles fermés ou d’idéologie aussi stériles qu’imaginaires, petits êtres qui font deux tours et puis s’en vont. Ou un seul comme notre précédent …
Vladimir Poutine est un homme, un de ceux que Diogène, en vain, recherchait sur l’Agora.
On sait ce qu’il advint d’Athènes …

Source :  https://skanderbergblog.wordpress.com/


Merci pour cette conversation, M. Poutine

Oliver Stone étant citoyen des USA, ces entretiens filmés entre juin 2015 et février 2017 portent pour l’essentiel sur les tensions géopolitiques entre Moscou et Washington. Lorsque le cinéaste lui demande, en février 2017, si l’élection d’un nouveau président américain est susceptible de changer quelque chose, Vladimir Poutine répond : “presque rien”. C’est “la bureaucratie”, explique-t-il, qui exerce le pouvoir à Washington, et cette bureaucratie est inamovible. En effet. A peine élu, Donald Trump est devenu l’otage de “l’Etat profond”.
L’intérêt de ces entretiens est qu’ils mettent en perspective la pesanteur du “deep State”, sa dimension structurelle. Les Russes ont le sens de l’histoire, et c’est pourquoi M. Poutine, pour comprendre le monde actuel, évoque l’usage de l’arme atomique contre Hiroshima et Nagasaki (août 1945). Privé de toute justification militaire, ce crime de masse a plongé l’humanité dans l’ère nucléaire. Pour Moscou, c’est le moment-clé de l’histoire contemporaine, celui où tout bascule. En faisant peser la menace d’une destruction totale, Washington a pris une responsabilité gravissime.
La course aux armements n’est pas une invention moscovite. Dans les années 1980, une URSS fossilisée s’était laissée piéger par cette compétition mortifère, précipitant sa chute. Dans les années 2000, c’est encore Washington qui suspend les discussions sur les armes anti-missiles et s’empresse d’élargir l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie. Que dirait-on à Washington si la Russie nouait une alliance militaire avec le Mexique et le Canada ? Quand Oliver Stone évoque l’affaire – aujourd’hui oubliée – du destroyer US qui s’était dangereusement approché de la Crimée, M. Poutine demande ce que ce navire pouvait bien faire dans les parages. Mais la propagande a l’art d’inverser les rôles, et elle parla de provocation russe.
Passionnante mise en perspective, aussi, à propos de la lutte contre le terrorisme. La seconde guerre de Tchétchénie (1999-2009) fut déclenchée par l’agression djihadiste contre le Daghestan russe. Or les USA y ont joué un rôle particulièrement trouble.
Les Américains nous soutiennent en paroles contre le terrorisme, mais en réalité ils l’utilisent pour fragiliser notre situation intérieure”, dit le président russe.
En 1980, Brzezinski tenait déjà les combattants du djihad antisoviétique pour des “Freedom Fighters”. Dans le Caucase, en Syrie, en Libye, la CIA a armé, financé et manipulé les desperados de l’islamisme radical. La Russie soviétique, puis post-soviétique, les a toujours combattus.
Chaque fois que son interlocuteur (qui n’est pas dupe) mentionne la rhétorique occidentale sur la menace russe, M. Poutine demeure le plus souvent impassible, esquissant parfois un sourire narquois. A Moscou, on l’a compris depuis longtemps : les Américains font le contraire de ce qu’ils disent et ils vous accusent de faire ce qu’ils font eux-mêmes. L’accusation d’ingérence russe dans l’élection présidentielle américaine (2016) est un véritable cas d’école. Lorsque la présidente du conseil national démocrate démissionna à la suite de la publication d’emails compromettants, Julian Assange a nié que sa source fût russe. Mais l’establishment a quand même pointé un doigt vengeur vers Moscou.
Car il fallait un coupable, et il ne pouvait être que moscovite. “Dans cette affaire, souligne M. Poutine, les Américains prétextent une intervention extérieure pour régler leur problèmes intérieurs”. Pour les USA, la Russie est à la fois un repoussoir et un bouc-émissaire. Un repoussoir, quand on brandit la prétendue “menace russe” pour contraindre les Européens à faire bloc derrière les USA. Un bouc-émissaire, quand on attribue à Moscou la responsabilité de sa propre incurie. Tout se passe comme si l’affrontement idéologique hérité de la “Guerre froide” avait fourni un prêt-à-penser inusable. Le manichéisme américain peint le monde en noir et blanc, et Moscou sera toujours la source du mal.
L’accusation d’ingérence russe dans la démocratie américaine est d’autant plus ahurissante que les dirigeants US, eux, interviennent ouvertement en Russie. Lors de la campagne présidentielle russe de 2012, Victoria Nuland (qui a déclaré : « j’encule l’UE »), secrétaire d’État adjoint US, a déclaré : “Nous travaillons à l’intérieur et à l’extérieur de la Russie avec les militants russes qui souhaitent renforcer l’état de droit et la liberté de la presse, avec les LGBT”. Que dirait-on si le gouvernement russe “travaillait” aux USA avec des militants américains qui combattent le gouvernement des États-Unis ? Mais cette hypothèse est invraisemblable, car comme le dit M. Poutine, “nous ne nous mêlons pas des affaires intérieures des autres pays”.
Respect de la souveraineté des États et refus de l’ingérence étrangère, ces deux principes (qui en réalité n’en font qu’un) définissent l’approche russe des relations internationales. Si Moscou intervient en Syrie, c’est à la demande d’un gouvernement légitime en proie à l’invasion étrangère et au terrorisme de masse. Si la Russie a accueilli la Crimée, c’est parce que le peuple de Crimée l’a voulu expressément, au terme d’un référendum organisé par le Parlement de Crimée. Et cette sécession de la péninsule n’eût peut-être pas vu le jour si un putsch des nationalistes ukrainiens, soutenu par la CIA, en février 2014, n’avait renversé le pouvoir légalement issu des urnes à Kiev.
Mais il est vrai que la Russie, elle, ne fomente pas de coup d’État avec l’aide de néo-nazis. Elle ne finance pas d’ONG pour déstabiliser les autres pays au nom des droits de l’homme, elle n’envoie pas ses troupes pour y instaurer la “démocratie”, et elle ne bombarde pas les populations pour “punir” les dirigeants qui lui déplaisent. Elle ne provoque pas la guerre civile pour s’approprier les ressources des autres pays, elle ne finance, n’arme ou ne manipule aucune organisation terroriste. Que l’on sache, la Russie n’a jamais utilisé l’arme atomique, ses services secrets n’ont jamais créé de “centres de torture” à l’étranger, et elle n’envoie pas ses drones tueurs dans une douzaine de pays. Elle ne couvre pas les océans de ses porte-avions, elle a 5 bases militaires à l’étranger quand les USA en ont 725, et son budget militaire représente 8% de celui du Pentagone. La Russie telle qu’elle est, gagne à être connue.
Merci, M. Poutine, pour cette conversation.
Bruno GUIGUE, 1/7/2017
COMMENTAIRE :


Les médias mainstream américains ont assumé le rôle de protéger les Américains de points de vue alternatifs, ce qui explique pourquoi les longues interviews d’Oliver Stone avec Vladimir Poutine inquiètent tant.
Il y a eu un temps où je pensais qu’il était de la responsabilité d’un journaliste américain d’entendre toutes les parties d’une dispute et ensuite d’expliquer le problème aussi justement que possible aux Américains, ainsi ils seraient armés d’assez de faits pour établir leurs propres jugements et agir comme véritables souverains dans une démocratie.
Oliver Stone interviewant le Président russe Vladimir Poutine dans l’émission de Showtime « The Putin Interviews ».
Je réalise à quel point cela semble naïf aujourd’hui, alors que le journalisme américain a glissé vers un nouveau paradigme dans lequel les principaux médias croient devoir soutenir la version de l’establishment, quelle que soit, et écarter ou discréditer tous faits gênants ou analyses alternatives.
Aujourd’hui le New York Times, le Washington Post et le reste des médias mainstream n’autorisent qu’au compte-gouttes l’expression de quelques vues alternatives, et se contentent sinon d’accumuler les dernières trouvailles de la pensée unique.
C’est pourquoi la série de quatre interviews du metteur en scène Oliver Stone avec le Président russe Vladimir Poutine sur « Showtime » ne manquera pas de provoquer l’indignation et la moquerie de la quasi-totalité des grands médias américains. Comment peut-on oser laisser Poutine expliquer sa vision des défis auxquels le monde fait face ? Pourquoi diable un américain sain d’esprit traiterait le leader russe avec politesse et – mon Dieu ! – respect ?
En ce qui concerne Poutine, le nouveau paradigme des médias américains requiert soit le tombereau d’injures frontales soit le caviardage systématique de ses explications, en particulier si elles s’appuient sur des informations qui présentent le gouvernement américain sous un mauvais jour. C’est qu’il faut protéger les Américains de « la propagande et la désinformation russes ».
En d’autres termes, puisque les « gardiens de la vérité » mainstream enjoignent les Américains de ne pas regarder « The Putin Interviews » de Stone, la série touchera probablement une audience relativement réduite et la diabolisation de Poutine et de la Russie continuera tambour battant.
Le public américain peut ainsi être préservé de quelques révélations historiques dérangeantes et du déconcertant vertige qui vient des informations qui perturbent « ce que tout le monde sait être vrai ».
Source : Robert Parry, Consortium News, 13-06-2017