lundi 4 mai 2015

La « guerre mondiale contre le terrorisme » a tué au moins 1,3 million de civils

Un rapport publié par un groupe de médecins lauréats du prix Nobel de la paix révèle qu’un million de civils irakiens, 220.000 Afghans et 80.000 Pakistanais ont péri, au nom du combat mené par l’Occident contre « la terreur».
« Je crois que la perception causée par les pertes civiles constitue l’un des plus dangereux ennemis auxquels nous sommes confrontés », déclarait en juin 2009 le général états-unien Stanley McCrystal, lors de son discours inaugural comme commandant de la Force internationale d’assistance à la sécurité en Afghanistan (ISAF). Cette phrase, mise en exergue du rapport tout juste publié par l’Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire (IP- PNW), lauréate du prix Nobel de la paix en 1985, illustre l’importance et l’impact potentiel du travail effectué par cette équipe de scientifiques qui tente d’établir un décompte des victimes civiles de la « guerre contre le terrorisme » en Irak, en Afghanistan et au Pakistan.

« LES FAITS SONT TÊTUS »

Pour introduire ce travail globalement ignoré des médias francophones, l’ex-coordinateur humanitaire pour l’ONU en Irak, Hans von Sponeck écrit: « Les forces multinationales dirigées par les États-Unis en Irak, l’ISAF en Afghanistan (...) ont méthodiquement tenu les comptes de leurs propres pertes. (...) Celles qui concernent les combattants ennemis et les civils sont (par contre) officiellement ignorées. Ceci, bien sûr, ne constitue pas une surprise. Il s’agit d’une omission délibérée. » 
Comptabiliser ces morts aurait « détruit les arguments selon lesquels la libération d’une dictature en Irak par la force militaire, le fait de chasser Al-Qaïda d’Afghanistan ou d’éliminer des repaires terroristes dans les zones tribales au Pakistan ont permis d’empêcher le terrorisme d’atteindre le sol états-unien, d’améliorer la sécurité globale et permis aux droits humains d’avancer, le tout à des coûts “ défendables ”».
Cependant, « les faits sont têtus », poursuit-il. « Les gouvernements et la société civile savent que toutes ces assertions sont absurdement fausses. Les batailles militaires ont été gagnées en Irak et en Afghanistan mais à des coûts énormes pour la sécurité des hommes et la confiance entre les nations. »
Bien sûr, la responsabilité des morts civiles incombe également aux « escadrons de la mort » et au « sectarisme » qui portait les germes de l’actuelle guerre chiite-sunnite, souligne l’ancien secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld dans ses mémoires (« Know and Unknown », Penguin Books, 2011).
Mais comme le rappelle le docteur Robert Gould (du Centre médical de l’université de Californie), l’un des auteurs du rapport, « la volonté des gouvernements de cacher le tableau complet des interventions militaires et des guerres n’a rien de nouveau. Concernant les États- Unis, l’histoire de la guerre au Vietnam est emblématique. Le coût immense pour l’ensemble de l’Asie du Sud-Est, incluant la mort estimée d’au moins 2 millions de Vietnamiens non combattants, et l’impact à long terme sur la santé et l’environnement d’herbicides comme l’agent orange, ne sont pas encore pleinement reconnus par la majorité du peuple américain». Et Robert Gould d’établir un autre parallèle entre la sauvagerie des Khmers rouges, qui émergeront d’un Cambodge dévasté par les bombardements, et la récente déstabilisation « post-guerre » de l’Irak et de ses voisins, laquelle a rendu possible la montée en puissance du groupe terroriste dit « État islamique »

TOTAL ESTIMÉ À 3 MILLIONS

Bien loin des chiffres jusqu’à présent admis, comme les 110 000 morts avancés par l’une des références en la matière, l’« Iraq Body Count » (IBC), qui inclut dans une base de données les morts civiles confirmées par au moins deux sources journalistiques, le rapport confirme la tendance établie par la revue médicale « Lancet », laquelle avait estimé le nombre de morts irakiens à 655.000 entre 2003 et 2006. Depuis le déclenchement de la guerre par George W. Bush, l’étude de l’IPPN aboutit au chiffre vertigineux d’au moins 1 million de morts civils en Irak, 220.000 en Afghanistan, et 80.000 au Pakistan. Si l’on ajoute, concernant l’ancienne Mésopotamie, le bilan de la première guerre du Golfe (200.000 morts), et ceux du cruel embargo infligé par les États-Unis (entre 500 000 et 1,7 million de morts), ce sont presque 3 millions de morts qui sont directement imputables aux politiques occidentales, le tout au nom des droits de l’homme et de la démocratie.
En conclusion du rapport, les auteurs citent le rapporteur spécial des Nations unies de 2004 à 2010 sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires: selon Philip Alston, qui s’exprimait en octobre 2009, les investigations sur la réalité des attaques de drones (lire encadré) étaient presque impossibles à mener, à cause de l’absence totale de transparence et le refus des autorités états-uniennes de coopérer. Puis il ajoutait, après avoir insisté sur le caractère illégal au regard du droit international de ces assassinats ciblés, que « la position des États-Unis était intenable». Trois semaines plus tard, Barack Obama recevait le prix Nobel de la paix ...
PENDANT CE TEMPS-LÀ, EN IRAK, EN AFGHANISTAN, AU PAKISTAN... Le 20 avril dernier, la « coalition antidjihadistes » dirigée par les États-Unis indiquait dans un communiqué avoir mené en 24 heures 36 raids aériens contre des positions du groupe « État islamique », dont 13 dans la province d’Al-Anbar, à l’ouest de Bagdad. Combien de « dommages collatéraux » civils dans cette région, l’une des plus touchées par les violences depuis l’invasion de l’Irak en 2003 ? Les communiqués militaires demeurent systématiquement muets sur cette question, alors que plus de 3.200 « frappes » aériennes, selon la novlangue moderne, ont été effectuées depuis le mois d’août 2014 et la prise de Mossoul par l ’« État islamique». Le 18 avril, c’est un attentat-suicide, « technique » de combat inconnue en Afghanistan avant le 11 septembre 2001, qui faisait 33 morts près de la frontière pakistanaise. À la fin du mois de mars, des sources sécuritaires pakistanaises faisaient état de 13 « djihadistes » liés aux talibans tués lors d’une attaque d’un drone états-unien.
Près de 10 000 soldats américains sont toujours stationnés en Afghanistan.
 







Pourquoi la guerre contre la terreur menée par les États-Unis est-elle une fraude ?




Il est crucial de noter que le rapport ci-dessus ne couvre même pas la piste de l’OCO [GWOT] en Libye, Syrie, Somalie et Yémen (une guerre gagnée par l’Otan / AFRICOM; une guerre civile en cours; et deux cibles de la funeste kill list d’Obama 2 ) En outre, les chiffres sur l’AfPak et l’Irak sont loin d’être à jour. Et l’estimation totale du nombre de victimes tuées est considérée comme conservatrice.
Le dossier montre que cette machine à tuer, l’OCO [GWOT] s’est déchaînée pendant près de quinze ans contre des zones entières de la planète – sans parler du gaspillage de milliards de dollars des contribuables américains – et n’a eu absolument aucun effet pour contenir le terrorisme. C’est plutôt le contraire.
Et tout a commencé bien avant le 9/11 .

Où est mon visa jihadiste?

Il suffit de lire le livre de Michael Springmann Visas pour al-Qaïda : les documents de la CIA qui ont secoué le monde. 
Springmann, un ancien fonctionnaire du Département d’État, pratique actuellement le droit dans le Beltway [centre nerveux du pouvoir à Washington, NdT]. Il tenait le poste crucial de chef de la section des visas du consulat américain à Djeddah, en Arabie saoudite, entre 1987 et 1989.
La révélation de Springmann que le consulat de Djeddah était une base de la CIA n’est pas une – que la libre circulation des visas était essentielle pour les soi-disant Afghans arabes qui ont été engagés dans les années 1980 dans le djihad contre l’ex-URSS.
Lors des recherches pour son livre, Springmann a également constaté que 15 des 19 pirates de l’air du 9/11 avaient obtenu leurs visas en Arabie Saoudite; 11 à Djeddah et 4 à Riyad. 

Springmann n’a aucun doute sur la genèse de la guerre contre la terreur avant le 9/11, c’était un racket impliquant la CIA et le Département d’État. 

Parlez-en à la RAND CORPORATION

Il n’y a rien de nouveau sous le soleil de la guerre contre la terreur. GWOT / OCO est un simple changement de nom de ce que le Pentagone, dans les premiers jours de l’ axe du mal du régime Cheney, appelait la Longue guerre. Et son avenir a été dûment conceptualisé plus tard en 2008 par le rapport de la RAND Corporation intitulé L’avenir de la longue guerre.
RAND décrit clairement ce qui est devenu la nouvelle norme. Washington soutient le racket du pétrodollar des pays du Golfe, maison des Saoud en tête de liste, quoi qu’il arrive, toujours dans le but de contenir le pouvoir et l’influence de l’Iran; détourne des ressources salafiste-djihadistes contre les intérêts iraniens à travers le Moyen-Orient, en particulier en Irak et au Liban, évitant ainsi le retour de flamme… des opérations anti-occidentales;  continue à promouvoir al-Qaïda – et ISIS / ISIL / Daesh – sponsorisés par les pays du Golfe et chargent vicieusement les islamistes anti-chiites du monde entier de la responsabilité de maintenir la domination occidentale.
Techniquement, la longue guerre est une aubaine fabuleuse pour le complexe militaro-industriel. Sur le plan géopolitique, elle fait d’une pierre deux coups; elle fait des ravages dans le monde musulman selon l’adage diviser pour régner, et mène aussi une guerre par procuration contre l’Iran.
Peu se souviennent que le concept de Longue Guerre a été formulé pour la première fois dans l’ère de l’axe du mal par le Forum Highlands, un think-tank néocon relativement obscur infesté par le Pentagone. Ce n’est pas par hasard que la RAND Corporation en est un partenaire majeur.
OCO est là pour toujours. Bonne route, et bons massacres.
  1. Manipulation des mots et concepts pour leur faire signifier le contraire de ce qu’ils sont. Voir Orwell
  2. Liste de personnes à assassiner sans jugement présentée chaque mardi matin à l’approbation d’Obama dans son bureau de la Maison Blanche
  3. Poste stratégique de management de crise qui protège les citoyens US et leurs intérêts à l’étranger