vendredi 22 septembre 2017

Les raisons de la panique de Netanyahou, par Alastair Crooke

Le Premier ministre Netanyahou est en mode panique après la chute des relais djihadistes saoudiens et israéliens en Syrie, et menace à présent de lancer une grande guerre aérienne, selon l’ex-diplomate anglais Alastair Crooke.

Une délégation du renseignement israélien de très haut niveau s’est rendue à Washington, il y a une semaine. Ensuite, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a interrompu les vacances d’été du président Poutine pour le rencontrer à Sotchi où, selon un ancien responsable du gouvernement israélien (cité dans le Jerusalem Post), Netanyahou a menacé de bombarder le palais présidentiel de Damas et de perturber et annuler le processus de cessez-le-feu d’Astana, si l’Iran continuait à « étendre son influence en Syrie ».
La Pravda russe écrivait : « selon des témoins oculaires de la partie des pourparlers qui a été rendue publique, le Premier ministre israélien était trop émotif, et parfois même proche de la panique. Il a décrit au Président russe une image apocalyptique que le monde pourrait voir, si aucun effort n’était entrepris pour contenir l’Iran qui, comme Netanyahou l’affirme, est déterminé à détruire Israël. »
Donc, que se passe-t-il ici ? Que l’affirmation de la Pravda soit ou non totalement exacte (bien que ce fait ait été confirmé par des commentateurs israéliens confirmés), ce qui est absolument certain (venant de sources israéliennes) c’est que tant à Washington qu’à Sotchi, les officiels israéliens ont été entendus, mais n’ont rien obtenu. Israël se retrouve isolé. En fait, il est rapporté que Netanyahou cherchait « des garanties » concernant le rôle futur de l’Iran en Syrie, plutôt que de « croire au Père Noël » concernant un retrait iranien. Mais comment Washington ou Moscou pourraient-ils réellement donner à Israël de telles garanties ?
Tardivement, Israël a compris qu’il avait soutenu le mauvais camp en Syrie — et il a perdu. Il n’est pas réellement en position de demander quoi que ce soit. Il n’obtiendra pas une zone tampon mise en place par les Américains au-delà de la ligne d’armistice du plateau du Golan, ni que la frontière irako-syrienne soit fermée ou bien en quelque sorte « supervisée » au nom d’Israël.
Bien sûr, le dossier syrien est important, mais se concentrer uniquement là-dessus serait « l’arbre qui cache la forêt ». La guerre qu’Israël a menée en 2006 pour détruire le Hezbollah (imaginée par les États-Unis, l’Arabie saoudite — et même par quelques Libanais) — fut un échec. De manière symbolique, et pour la première fois au Moyen-Orient, un État-nation occidentalisé, possédant des technologies sophistiquées et une armée brillante a tout simplement échoué. Ce qui rendit l’échec plus cinglant (et plus douloureux) c’est qu’un État occidental n’était pas seulement dépassé militairement, mais avait aussi perdu la guerre du renseignement électronique et humain — les deux domaines où l’Occident croyait sa supériorité inattaquable.
L’échec inattendu d’Israël a profondément alarmé l’Occident, et le Golfe également. Un mouvement armé (révolutionnaire) et de taille modeste s’était levé en face d’Israël — contre toute attente — et avait triomphé : il s’était maintenu debout. Ce précédent fut largement perçu comme une possible remise en cause de l’ordre régional. Devant une telle résistance armée, les théocraties féodales du Golfe sentirent dans le succès du Hezbollah une menace latente pour leur propre gouvernement.
La réaction fut immédiate.  Le Hezbollah fut mis en quarantaine — le mieux que les pouvoirs de sanction de l’Amérique puissent faire. Et la guerre en Syrie a commencé à être considérée comme la « stratégie corrective » à l’échec de 2006 (dès 2007), mais ce n’est qu’avec les événements de 2011 que la « stratégie corrective » est entrée en vigueur.
Israël avait mobilisé l’ensemble de ses forces militaires contre le Hezbollah (bien qu’il dit toujours a posteriori qu’il aurait dû faire davantage).  
Or, contre la Syrie, les États-Unis, l’Europe, les États du Golfe (et Israël en arrière-plan) ont mis le paquet : les djihadistes, al-Qaïda, l’EI (oui), des armes, des commissions, des sanctions et la plus écrasante guerre de l’information jamais vue.
Pourtant la Syrie — avec l’aide indiscutable qu’elle a reçue de ses alliés — semble l’emporter : elle a tenu bon, contre toute attente.
Juste pour préciser : si 2006 a constitué un point d’inflexion, la résistance de la Syrie représente un tournant historique de plus grande magnitude.
Il faut comprendre que l’instrumentalisation du sunnisme radical (Frères Musulmans, Wahhabites, Salafistes, et tutti quanti) par l’Arabie saoudite (et par la Grande-Bretagne et les États-Unis) a été mise en déroute. Et avec cette résistance, les États du Golfe et particulièrement l’Arabie saoudite sont affaiblis. Cette dernière a fait confiance à la force du wahabbisme depuis la fondation initiale du royaume, mais le wahabbisme au Liban, en Syrie et en Irak a été totalement vaincu et discrédité (même pour les musulmans sunnites). Il pourrait également être vaincu au Yémen. Cette défaite va modifier le visage de l’islam sunnite.
Déjà, nous voyons le Conseil de Coopération du Golfe, initialement fondé en 1981 par les dirigeants de six tribus du Golfe dans le seul but de préserver le caractère héréditaire de leurs gouvernements tribaux, s’entre-déchirer dans ce qui est vraisemblablement une lutte interne de longue haleine et acharnée. Le « système arabe », la prolongation des vieilles structures ottomanes après la Première Guerre mondiale par les vainqueurs complaisants, la Grande-Bretagne et la France, semble être sorti de sa phase de « rémission » de 2013 (renforcée par le coup d’État en Égypte) et avoir repris son long déclin.
Le côté des perdants
La « quasi-panique » de Netayahou (si c’est bien ce qui s’est produit) pourrait bien être le reflet de ce glissement sismique dans la région. Israël a longtemps soutenu le côté perdant — et se retrouve maintenant « seul » et craignant pour ses proxies (les Jordaniens et les Kurdes). La « nouvelle » stratégie corrective de Tel-Aviv, semble-t-il, consiste à se consacrer à séparer l’Irak de l’Iran et à l’intégrer dans l’alliance Israël-États-Unis-Arabie saoudite.
Le président Donald Trump touche un globe illuminé en compagnie
du Président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et du roi saoudien Salman et
Donald Trump à l’ouverture du Centre mondial de lutte contre l’idéologie
extrémiste de l’Arabie saoudite le 21 mai 2017. (Photo de Saudi TV)
Si tel est le cas, Israël et l’Arabie saoudite sont probablement trop en retard dans le jeu et sous-estiment sans doute la haine viscérale engendrée chez tant d’Irakiens de toutes les couches de la société par les actions meurtrières de l’EI. Peu nombreux sont ceux qui croient à la version improbable (occidentale) que l’EI a soudainement surgi, armé et entièrement financé, en raison du prétendu « sectarisme » du Premier ministre irakien Nouri al-Maliki : non, en règle générale, derrière chacun de ces mouvement bien établis — un État se dresse.
Daniel Levy a écrit un article convaincant pour affirmer que les Israéliens ne souscrivent généralement pas à ce que j’ai écrit ci-dessus, mais plutôt : « Le long mandat de Netanyahou, ses multiples succès électoraux et sa capacité de maintenir une coalition gouvernementale […] [sont fondés sur] le fait que son message résonne avec un large public. Un bon argument de vente est que Netanyahou […] [a] ‘amené l’État d’Israël à la meilleure situation de son histoire, une force mondiale croissante… l’État d’Israël est florissant du point de vue diplomatique’. Netanyahou a contré ce qu’il avait appelé une ‘ fausse nouvelle’ — l’affirmation que, sans un accord avec les Palestiniens, Israël serait isolé, affaibli, et abandonné face à un ‘tsunami diplomatique’.
« Bien qu’il soit difficile pour ses détracteurs politiques de le reconnaître, les affirmations de Netanyahou sont en phase avec le public car elles reflètent quelque chose de réel, qui a déplacé le centre de gravité de la politique israélienne toujours plus loin vers la droite. Ces affirmations, si elles sont exactes et réplicables au fil du temps, laisseront un héritage qui dépasse largement le mandat de Netanyahou et toute mise en accusation qu’il pourrait avoir à affronter.
« Netanyahou affirme qu’il n’est pas pas seulement en train de gagner du temps dans le conflit entre Israël et les Palestiniens pour améliorer les termes d’un compromis éventuel et inévitable. Netanyahou revendique quelque chose de différent : la possibilité de la victoire finale, la défaite permanente et définitive des Palestiniens, de leurs objectifs nationaux et collectifs.
« Durant plus d’une décennie en tant que Premier ministre, Netanyahou a systématiquement et sans équivoque rejeté tous les plans ou étapes pratiques qui commenceraient juste à aborder les aspirations palestiniennes. Netanyahou vise à perpétuer et à exacerber le conflit, pas à le gérer, et encore moins à le résoudre… Le message est clair : il n’y aura pas d’État palestinien parce que la Cisjordanie et Jérusalem-Est sont simplement le Grand Israël. »
Pas d’État palestinien
Levy poursuit : « Cette approche rend caduc le présupposé qui avait guidé les efforts de paix et la politique américaine pendant plus d’un quart de siècle : celui qu’Israël n’avait aucune alternative à un retrait territorial et à l’acceptation de quelque chose qui ressemble suffisamment à un État palestinien souverain et indépendant s’étendant le long des lignes de 1967. Elle contredit l’hypothèse que le refus permanent d’un tel résultat est incompatible avec la façon dont Israël et les Israéliens se considèrent comme une démocratie. Qui plus est, elle conteste que ce déni serait en quelque sorte inacceptable pour les alliés-clés dont Israël dépend, autre supposition de l’effort de paix… »
« Dans des bastions plus traditionnels du soutien à Israël, Netanyahou a pris un risque calculé — resterait-il de la part des Juifs américains assez de soutien à un Israël de plus en plus intolérant et ethno-nationaliste, pour faciliter la perpétuation de la relation oblique entre les USA et Israël ? »
Et voici une autre intéressante remarque de Levy :
« Et les événements ont encore tourné en faveur de Netanyahou avec la montée en puissance aux États-Unis et dans certaines parties du centre de l’Europe de l’Est (et avec une importance accrue ailleurs en Europe et à l’Ouest) de la tendance très ethno-nationaliste dans laquelle Netanyahou est si engagé, travaillant à remplacer les libéraux par une démocratie intolérante. On ne doit pas sous-estimer l’importance d’Israël et de Netanyahou en tant qu’avant-garde idéologique et pratique de cette tendance. »
L’ancien ambassadeur des États-Unis et analyste politique respecté Chas Freeman a écrit récemment, très brutalement : « l’objectif central de la politique américaine au Moyen-Orient a longtemps été d’obtenir l’acceptation régionale de l’État juif colonial en Palestine ». Ou, en d’autres termes, pour Washington, sa politique au Moyen-Orient — et toutes ses actions — a été déterminée par « être ou ne pas être » : « Être » (c’est-à-dire) – avec Israël, ou « ne pas être » (avec Israël).
Le terrain perdu d’Israël
Le point-clé maintenant est que la région vient de subir un glissement sismique vers le camp du « ne pas être ». Est-ce que l’Amérique peut y faire grand chose ? Israël se retrouve très seul, avec seulement à son côté une Arabie saoudite affaiblie, et il existe des limites claires à ce que cette dernière peut faire.
Le Premier ministre irakien Haider al-Abadi.
La demande des États-Unis aux États arabes de s’engager davantage avec le Premier ministre irakien Haider al-Abadi semble en quelque sorte inadéquate. L’Iran ne cherche pas la guerre avec Israël (comme l’ont reconnu un certain nombre d’analystes israéliens) ; mais de plus, le Président syrien a précisé que son gouvernement entend récupérer « toute la Syrie » — et toute la Syrie comprend les hauteurs occupées du Golan. Et cette semaine, Hassan Nasrallah a demandé au gouvernement libanais « d’élaborer un plan et de prendre la décision souveraine de libérer les fermes de Shebaa et les collines de Kfarshouba » de l’occupation israélienne.
Un certain nombre de commentateurs israéliens disent déjà que « le vin est tiré » — et qu’il serait préférable pour Israël de céder le terrain unilatéralement, plutôt que de risquer la perte de centaines de militaires israéliens dans une tentative inutile pour le conserver. Cela, cependant, ne semble guère conforme au caractère du Premier ministre israélien et ses déclarations récentes : « nous ne céderons pas d’un pouce ».
L’ethno-nationalisme  fournira-t-il à Israël une nouvelle base de soutien ? Eh bien tout d’abord, je ne vois pas la doctrine d’Israël comme une « démocratie intolérante », mais plutôt comme un système d’apartheid destiné à minimiser les droits politiques palestiniens. Et à mesure que le schisme politique en Occident s’élargit, avec une « aile » cherchant à délégitimer l’autre en la traitant de raciste, bigote et nazie, il est clair que les véritables partisans de l’Amérique d’abord tenteront, à tout prix, de se distancer des extrémistes.
Daniel Levy souligne que le leader Alt-Right, Richard Spencer, présente son mouvement comme sioniste blanc. Est-il vraiment apte à créer un soutien pour Israël ? Combien de temps avant que les « globalistes » n’utilisent précisément le mème de la « démocratie intolérante » de Netanyahou pour railler la Droite des États-Unis, en disant que c’est précisément le genre de société à laquelle ils aspirent : traiter les Mexicains et les Américains noirs comme les Palestiniens ?
Un nationalisme ethnique
Dans la région de plus en plus « ne pas être » du Moyen-Orient, on a un mot plus simple pour le « nationalisme ethnique » de Netanyahou. On l’appelle simplement le colonialisme occidental. La première étape, selon Chas Freeman, qui a mis le Moyen-Orient du côté « être avec Israël » a été l’agression Choc et effroi contre l’Irak. L’Irak est maintenant allié à l’Iran, et la milice Hashad (PMU) devient une force de combat largement mobilisée. La deuxième étape s’est faite en 2006. Aujourd’hui, le Hezbollah est une force régionale, non plus simplement libanaise.
Les membres d’une milice d’extrême-droite manifestent à l’extérieur du parlement ukrainien à Kiev. (Capture d’écran de la vidéo RT via la vidéo YouTube)
La troisième étape a été la Syrie. Aujourd’hui, la Syrie est alliée à la Russie, à l’Iran, au Hezbollah et à l’Irak. Qu’y aura-t-il au prochain tour de la guerre du « être ou ne pas être » ?
Netanyahou s’est vanté qu’Israël était devenu plus fort et avait vaincu « ce qu’il avait appelé la fausse nouvelle que, sans un accord avec les Palestiniens, Israël serait isolé, affaibli et abandonné face à un tsunami diplomatique » ; il vient peut-être de découvrir, au cours de ces deux dernières semaines, qu’il avait confondu l’écrasement des Palestiniens affaiblis avec la « victoire » — et qu’au moment même de son triomphe apparent, il se retrouvait seul dans un « Nouveau Moyen-Orient » bien différent.
Peut-être la Pravda avait-elle raison, et Netanyahou s’est montré proche de la panique, lors de son sommet de Sotchi, organisé à la hâte et appelé d’urgence.
[Pour en savoir plus sur ce sujet, voir Consortiumnews.com « The Possible Education of Donald Trump ».]

Source : Alastair Crooke, Consortium News, 01-08-2017
Alastair Crooke est un ancien diplomate britannique, figure de premier plan dans les services de renseignement britanniques et dans la diplomatie de l’Union européenne. Il est le fondateur et le directeur du Forum des conflits.
Source : Alastair Crooke, Consortium News, 01-08-2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.