dimanche 4 septembre 2016

La CIA abuse de la couverture « journalistique » pour "espionner" Al-Qaïda


Le 9 août, nous avons parlé ici d’une espionne américaine, Lindsey Snell, qui travaillait avec Jabhat al-Nusra en Syrie et qui a été arrêtée quand elle a passé la frontière de Syrie en Turquie .

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Lindsey Snell 
L’armée turque a récemment « sauvé » une espionne de la CIA qui avait été blessée dans la région de Latakia, au nord de la Syrie. Les États-Unis ont envoyé des hélicoptères pour aider leur précieuse ressortissante. L’espionne s’est avérée être la journaliste, Lindsey Snell, qui était avec Nusra pour faire un rapport pour Vocativ, une agence de renseignement. Elle a été enfermée dans une prison turque pour avoir franchi illégalement la frontière.
Il ne fait aucun doute, à partir des informations disponibles, que Snell était une espionne. Les médias turcs l’ont appelée comme ça. Elle était avec Nusra et pas pour la première fois, elle a eu des ennuis et a été obligée de fuir. L’armée américaine a lancé une vaste opération pour l’aider. L’armée n’aurait jamais fait ça pour un vrai journaliste.
Trois semaines après que nous en avons parlé, un vrai journaliste a finalement repris l’histoire et a posé une question au briefing du Département d’Etat des Etats-Unis :
QUESTION: Avez-vous des informations sur un citoyen américain arrêté en Turquie? 
M. KIRBY: Arrêté en Turquie? Oui. Je peux confirmer que la citoyenne américaine, Lindsey Snell, a été arrêtée en Turquie le 7 août 2016. Elle est actuellement détenue dans un établissement pénitentiaire de la province de Hatay. Des fonctionnaires du consulat d’Adana sont allés voir Mme Snell le 26 de ce mois et lui fournissent toute l’aide possible. L’ambassade et le ministère suivent de près cette affaire. Les fonctionnaires du Département d’Etat sont en contact avec des représentants du Gouvernement turc à son sujet. […]
QUESTION: […] l’arrestation était-elle liée à sa profession de journaliste ou avait-elle un rapport quelconque avec elle ?
M. KIRBY: Ce que je – ce que nous savons, c’est qu’elle a été accusée d’avoir violé une zone militaire, mais je ne peux pas vous dire pourquoi elle était en Syrie, pourquoi elle y voyageait. Je ne peux pas le dire. Ce que je peux vous dire, c’est que nous avons été informés qu’elle a été accusée d’avoir violé une zone militaire.
Le Département d’Etat « ne peut pas dire » ce que Snell faisait en Syrie – et le répète deux fois. Pourquoi? C’est un secret? Notez que Kirby n’a pas non plus appelé « journaliste », cette « citoyenne américaine » alors même que celui qui a posé la question a utilisé ce mot.
Malgré la réticence du département d’Etat à appeler Snell une journaliste, les médias « occidentaux » dominants qui relaient le briefing du département d’État, l’appellent maintenant ainsi et ne mentionnent pas le fait que Snell est évidemment une espionne. La BBC, CBS et NBC ont parlé d’elle. Mais aucun de ces médias n’a abordé les circonstances très étranges du « sauvetage » de Lindsey Snell et de son « arrestation ». Aucun d’eux ne vous dira qu’elle était une espionne.
NBC s’aventure le plus loin en mentionnant une autre source de l’Etat, et en citant le gouverneur de la région de Hatay:
Un officiel du département d’Etat a déclaré que le gouvernement américain était au courant de la présence de Snell en Syrie et que l’aider à se rendre dans un endroit sûr demeurait l’objectif principal de l’agence. 
Du personnel américain a été envoyé à la frontière entre la Turquie et la Syrie pour aider Snell à sortir saine et sauve du pays ravagé par la guerre, mais Snell a ensuite été détenue par les autorités turques, a indiqué le responsable. […]
Le gouverneur de Hatay, Ercan Topaca, a déclaré à l’Agence d’Etat Anadolu: « Une journaliste américaine a été arrêtée alors qu’elle tentait de traverser la frontière illégalement, elle a été présentée à la justice et mise en détention provisoire. Le procès est en cours.  Pour l’instant, nous ne savons pas si elle est un espionne ou non ».
NBC mentionne simplement que « du personnel américains a été envoyé ». Cela donne l’impression qu’un simple employé de bureau s’est rendu à la frontière pour aider la « journaliste » à entrer en Turquie. Mais ce « personnel américain » se composait de deux drones armés et de plusieurs hélicoptères militaires qui ont survolé la zone pendant plusieurs jours pendant l’exfiltration de Snell. A-t-on jamais entendu parler d’un journaliste pour qui l’armée américaine aurait lancé une opération d’une telle envergure? Les médias turcs n’ont pas fait mystère de l’incident. Comme Hurriyet l’a rapporté le 7 août:
Un agent de renseignement féminin des États-Unis a été sauvé par des soldats des forces armées de Turquie (TSK) après une opération de deux jours sur la frontière syrienne, selon un rapport. Des drones et des hélicoptères ont participé à l’opération pour sauver cet agent qui avait été blessé en Syrie.
Deux hélicoptères américains ont atterri dans un village du district de Yayladagi de la province méridionale de Hatay le 5 août, ce qui a amené des habitants à appeler des officiels pour leur signaler l’atterrissage.
Y a-t-il de vrais « journalistes » indépendants qui s’embarquent avec Jabhat ql-Nusra et pour qui les États-Unis enverraient du « personnel américain » sous forme d’hélicoptères et de drones armés Hellfire ? Non, bien sûr que non.  Il est évident qu’ils avaient « un intérêt tout particulier » pour Snell et, contrairement à la presse « occidentale », Hurriyet n’a pas de problème à écrire que :
[L]’agent des Etats-Unis, dont le nom n’a pas été révélé parce qu’elle était sur une opération secrète, a été envoyée en mission en Syrie et blessée le 3 août, après quoi elle a demandé à être évacuée. Elle aurait envoyé ses coordonnées aux autorités américaines pour leur signaler sa position exacte. […]
Deux drones américains ont scanné la zone pendant deux jours tandis que deux hélicoptères américains attendaient du côté turc de la frontière.
Snell a été retrouvée par des agents turcs et arrêtée pour avoir franchi illégalement la frontière. Le MIT, le service de renseignement turc, ne risque pas d’apprécier qu’un espion américain essaie d’infiltrer un de ses meilleurs atouts en Syrie, Jabhat al-Nusra, alias al-Qaïda.
Les Turcs veulent garder Nusra sous leur contrôle exclusif. Même après avoir fait ami-ami avec la Russie la Turquie poursuit ses relations répréhensibles avec des groupes qualifiés de terroristes par les Nations Unies. Selon les militaires russes, la Turquie continue, jusqu’à aujourd’hui, à approvisionner Nusra à Idlib et Alep:
« Nous constatons que l’opposition en général, et Jabhat Fatah Al-Sham en particulier, continue de recevoir des renforts à travers la frontière syro-turque […] » a déclaré Rogachev à RIA Novosti.
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Qui est Lindsey Snell ?
Les grands médias « occidentaux » ne disent pas tout ce qu’ils savent concernant l’agent Lindsey Snell. Aucun d’eux ne mentionne l’envoi d’hélicoptères et de drones américains pour aider la « journaliste ». Le gouverneur de Hatay a pourtant confirmé leur usage extensif. Une telle utilisation de ressources militaires n’est-elle pas extraordinaire? Les faits sur le « sauvetage » sont ouverts à tous et ils sont relayés par des médias turcs tout à fait sérieux. Pourquoi les ignorer ? Pourquoi continuer à maintenir le mythe de la « journaliste » ?
Je me serais attendu à plus de curiosité et d’émoi de la part de CBS, NBC et de la BBC à propos de la couverture de « journaliste » que la CIA utilise pour cet agent.

Il est officiellement interdit à la CIA d’utiliser la couverture de « journaliste » pour ses opérations étrangères depuis 1977. Il y a bien sûr des exceptions et ceux qui s’attendent à ce que la CIA respecte les règlements ou les lois ont besoin de revoir leur perception de la réalité. Pourtant, ce que fait la CIA rend la vie des vrais journalistes plus difficile et plus dangereuse.
On se serait attendu à ce que des médias sérieux et de vrais journalistes signalent clairement le danger et s’élèvent violemment contre la CIA. On aurait espéré qu’ils s’intéressent au moins un peu à ce grave problème.
Moon of Alabama | 2 septembre 2016
Traduction : Dominique Muselet