vendredi 26 juin 2015

Washington et le mythe inepte de la « Russie isolée »

Le SPIEF (Saint Petersburg International Economic Forum) ouvre ses portes à Saint-Pétersbourg. Il rassemble soixante-treize nations. Il démontre s’il en était besoin l’impact mondial de cette belle cité (on ne va pas la comparer à Las Vegas tout de même ?), l’intégration de la Russie au monde des affaires et surtout au monde.
L’importance des BRICS est même reconnue par un occident jaloux et déphasé qui ne sait comment se féliciter d’avoir fait de la Russie un « pays isolé et condamné par tous » sur la scène internationale. Mais même au niveau européen, on ne peut pas dire que la rencontre de Vladimir Poutine avec le pape François, Renzi et Berlusconi — qui a demandé la fin des sanctions — puisse être perçue comme une démonstration que la Russie est un pays humilié et offensé. On assiste ici surtout à un maelström médiatique qui concerne exclusivement les journaux et les agences occidentales qui le promeuvent ; toutes et tous entre les mains d’une camarilla russophobe et surtout psychotique.
Dans son excellent livre sur Charlie, qui fait le point sur l’américanisation de l’Europe occidentale et les déprédations morales qui en découlent, l’anthropologue et penseur Emmanuel Todd remarque que les élites sont devenues russophobes en Europe, et ce d’une manière presque fonctionnelle. Les élites sont passionnément russophobes parce qu’elles se reconnaissent dans le modèle dit des élites hostiles, le modèle oligarchique étasunien qui maltraite son peuple et lui impose un cruel Etat policier, modèle oligarchique qui concentre la richesse entre les mains d’une poignée de banquiers et de spéculateurs, modèle oligarchique enfin qui se maintient au pouvoir en créant des dangers imaginaires : le péril musulman, le péril russe, hier encore le péril jaune, aujourd’hui toujours le péril jaune ; car la rhétorique antichinoise prend un tour inquiétant.
Il est facile de contrôler et de rétribuer de pareilles élites « européennes » : elles vont dans les cabinets d’affaires étasuniens qui dépècent les biens des peuples, elles se font inviter toutes fières au Bilderberg, elles touchent des indemnités royales de la part de la banque Goldman Sachs qui tient les finances du continent. Théorie de la conspiration : Et Monti, et Draghi, et Papandréou, et Kissing, et Sutherland d’où viennent-ils et où vont-ils ? La plupart des commissaires européens sont ainsi recyclés par des corporations étasuniennes au cours de bourse scandaleux. La cotisation boursière étasunienne représente 50% du total mondial pour un PNB qui n’atteint même plus 15%.
Les médias domestiqués reproduisent fidèlement cette vision oligarchique et psychotique. Le mythe de la Russie isolée repose sur une vision médiatique biaisée : on confond les EU, le Royaume-Uni et quelque affidés (l’Allemagne et le Japon qui restent de simples protectorats étasuniens, écrivait Brzezinski en 1997 dans son Grand échiquier) avec la communauté internationale, et on confond de façon inepte cette communauté internationale avec le monde.
VOICI LE MONDE DES MÉDIAS OCCIDENTAUX:
En vert : la Russie isolée

En mauve : la "Communauté internationale"
En noir : le "non-Monde" ou "le monde qui n'existe pas"
Or la « communauté internationale » n’est pas le monde, et le brouillon Jeb Bush et l’hilarante Hillary Clinton l’apprendront bientôt à leurs dépens. La Russie est aujourd’hui l’alliée la plus sûre de la Chine (seul John Mearsheimer l’a compris outre-Atlantique ; ô pauvres élites étasuniennes !), et la Chine est aussi l’alliée et la financière de l’Amérique du sud, et elle développe une Afrique que les saccages postcoloniaux des occidentaux avaient maintenu dans un ubuesque sous-développement.
Sagesse de Dieu, folie du monde, dit Saint Paul ; sagesse du monde, folie de l’Occident pourrions-nous dire ici en rappelant aussi que la Russie se rapproche aussi de la Turquie ou de l’Egypte, sous les imprécations et les sarcasmes de la petite presse occidentale, plus tellement lue, mais tellement subventionnée. Les plans sociaux des journaux se multiplient en France, Newsweek a disparu des kiosques, le Washington Post aboie pour Amazon et le NYT pour le mexicain le plus riche du monde. Tout cela explique cette désagrégation morale de la presse qui soutient les arguties les plus belliqueuses. Cela n’empêche pas la Russie de vendre aujourd’hui autant d’armes que la médusée hyper-puissance américaine.
Emmanuel Todd explique que la Russie a un destin éminemment gaulliste qui permettrait à l’Europe d’échapper à l’étouffante emprise étasunienne (on croirait le serpent de Laocoon dans l’Eneide de Virgile, qui d’ailleurs vient aussi de la mer) ; et que c’est un pays fondamentalement égalitaire, ce qui nuit à l’emprise agressive, corporative et oligarchique de la société étasunienne.
Les menaces et imprécations de Washington n’ont pas empêché les faits suivants :
L’Iran a été épargné, l’Amérique du Sud a retrouvé son indépendance et tonne avec Dilma Rousseff contre le modèle du Big Stick étasunien ; la Chine investit en Afrique et crée avec la Russie la sphère de coprospérité asiatique dont le vrai continent (par opposition au vieux continent) avait tant besoin. L’Occident étasunien, lui, se limite à la gesticulation militaire et à la théâtralité offusquée : et ce ne sont pas ses centaines d’experts ou de troufions qui changeront la donne en Asie centrale. Quant à ses prestations en Syrie...
En réalité, il est temps de le dire : ce n’est pas la Russie qui est isolée, c’est l’Europe occidentale
Ce « petit cap de l’Asie », disait le poète Valéry, vieillit, s’appauvrit, laisse échapper sa chance de contribuer à la grande aventure eurasiatique pour obéir à son tireur de ficelles étasunien. La Russie conquiert le monde avec la Chine, dans une libre communauté de nations jadis pillées par nos banquiers, laissant aux nouveaux esclaves de l’oncle Tom le soin de péricliter dans la vétusté, la paranoïa et les émeutes raciales.
Il y a cinquante ans, Enoch Powell prônait un rapprochement de l’Europe et de la Russie, ainsi qu’une surveillance de nos frontières au sud. Voyez où nous en sommes : l’OTAN veut la guerre contre la Russie et a créé l’invasion au sud via la Libye.
Comme dit Hegel, la sagesse vient au soir du monde, comme la chouette.
Nous verrons bien.
Nicolas BONNAL
»» http://fr.sputniknews.com/analyse/20150615/1016546396.html